Mardi 23 juillet, à l’Assemblée nationale, avec les membres du Groupe d’amitié France-Moldavie, nous avons poursuivi plusieurs auditions afin de préparer notre mission à Chisinau des 21 au 28 septembre 2019.
Nous avons tout d’abord écouté et questionné, Monsieur Christian Daudel, consul honoraire de la République de Moldavie en Auvergne Rhône Alpes.
Membre fondateur de l’association « Les Amis de la Moldavie, en Rhône-Alpes, Auvergne », sise à Saint-Étienne, il contribue à développer des liens d’amitiés entre notre région et la Moldavie. Depuis plusieurs années déjà, des étudiants moldaves, francophones et francophiles, fréquentent les campus universitaires stéphanois.
Économiquement, ce pays de l’ex-URSS est prometteur pour les entreprises françaises. Selon Christian Daudel, la France a du retard, parce que des entreprises allemandes et chinoises travaillent déjà avec la Moldavie.
Il a en outre précisé que la France devrait repenser sa stratégie d’implantation dans l’Europe et développer les échanges économiques avec la Moldavie. Il a aussi insisté sur l’importance de la francophonie et le rôle de l’Alliance française.
Il regrette également la suppression du consulat de France à Chisinau, ce qui pose des difficultés notamment aux étudiants moldaves pour récupérer leur visa, plus encore lorsqu’ils vivent à Tiraspol ou ailleurs en Transnistrie. Selon M.Daudel, seule la France peut jouer ce rôle d’expérimentation géopolitique pour montrer qu’il y a des conciliations à retrouver entre Russes et Européens.
» La suppression du consulat ne va pas dans le bon sens, pas plus que la chute libre des crédits de l’Alliance française. Même du point de vue de la défense de la francophonie, il conviendrait de s’intéresser davantage à la Moldavie, au lieu de concentrer tous les efforts sur l’Afrique, qui constitue une sorte de ligne Maginot, dans la mesure où les Africains de demain auront sans doute des sollicitations politiques et économiques qui les conduiront à apprendre l’anglais ou le mandarin plutôt que le français. Quantités d’actions sont organisées en Moldavie mais qui n’ont de sens que si elles bénéficient d’un soutien politique. »
Puis, c’est Monsieur Ronan VENETZ, chef du bureau Turquie, Balkans, CEI et Moyen-Orient à la direction générale du trésor qui nous a présenté son analyse.
Les échanges ont porté sur les relations commerciales bilatérales, le projet de rénovation d’une ligne ferroviaire et les difficultés rencontrées par les entreprises françaises en Moldavie.
Cette audition nous a aussi permis de faire un point sur l’état du projet de la convention fiscale entre la Moldavie et la France.
Pour rappel, les exportations françaises vers la Moldavie (2017) s’élèvent à 55 M€. Les échanges commerciaux entre les deux pays sont encore modestes.
Selon le Trésor Public, les échanges totaux franco-moldaves, après avoir accusé une baisse en 2016, à 95 M EUR (-5%) enregistrent une légère hausse en 2017 (+1%). Toutefois, le solde commercial, continue d’être déficitaire, ce déficit augmentant même légèrement en 2017.
La France achète à la Moldavie principalement des produits agricoles et textiles et lui vend des équipements agricoles, des machines (dont des automobiles) et des produits chimiques. Des opportunités de développement des échanges commerciaux existent, tant dans les domaines de l’agriculture et de l’agro-alimentaire que dans les secteurs industriels et de service. De grandes entreprises françaises comme Orange, Lafarge, Lactalis figurent parmi les principaux acteurs économiques du pays et contribuent à sa croissance.
Les évolutions politiques récentes en Moldavie pourraient avoir un impact très positif sur l’activité commerciale bilatérale car les gouvernements précédents, s’ils se présentaient comme pro-européens, étaient entachés de corruption. Le chef du service économique de Kiev, qui couvre la Moldavie, a rencontré le nouveau ministre de l’économie moldave, qui a manifesté des intentions très positives sur la volonté de lutter contre la corruption.
L’étude d’un dossier de prêt du trésor français pour la rénovation d’une ligne ferroviaire moldave, qui avait été gelée, a repris et a atteint la phase de « prise en considération » il y a quelques jours. D’autres prêts de ministère des finances à ministères des finances pour des projets d’infrastructures pourraient être envisagés si des lettres d’intérêt sont émises par la partie moldave.
La négociation d’une convention fiscale entre nos deux pays constitue une demande récurrente des entreprises et de notre ambassadeur à Chisinau. La convention avec la Moldavie pourrait être mise à l’ordre du jour des prochaines années s’il s’avérait qu’une autre négociation était abandonnée.
Les entreprises françaises présentes en Moldavie ont des besoins. Orange rencontre des difficultés pour être en mesure d’opérer en Transnistrie et demande une compensation. Lafarge rencontre des problèmes d’approvisionnement en énergie et attend autorisation de brûler des déchets pour en produire énergie. Quant à la Société générale, si elle se retire de Moldavie, ce n’est pas à cause de problèmes locaux mais en fonction d’une politique de retrait de certain pays pour se redéployer ailleurs.
Il est trop tôt pour recevoir des preuves concrètes de lutte contre la corruption, mais des signaux clairs ont été émis à cet égard, avec quatre priorités : éradiquer la corruption ; supprimer les monopoles ; accélérer le processus de privatisation ; valoriser les technologies de l’information en mobilisant la main-d’œuvre formée. Les factionnaires français sentent une réelle volonté de modifier la gouvernance, mais le travail sera sans doute long.
On importe désormais en Europe des produits de Transnistrie. La Moldavie est donc un petit laboratoire pour l’Ukraine et la Crimée.
L’économie domestique de la Moldavie est conditionnée par une forte composante de transferts financiers provenant de l’émigration.
Pour finir, c’est Monsieur Florent PARMENTIER, enseignant à Sciences Po et chercheur associé à HEC qui nous a apporté son expertise.
Depuis 2009, la Moldavie est dirigée par des coalitions, dont l’objectif affiché est de se rapprocher de l’UE en mettant en œuvre des réformes structurelles. Des crises politiques ont affecté la stabilité du gouvernement qui a changé à de nombreuses reprises depuis 2013, à la suite de scandales de corruption.
A partir des élections législatives de novembre 2014, la majorité parlementaire est devenue contrôlée par le PDM (Parti démocrate de Moldavie), d’orientation « pro-européenne ». Des élections présidentielles ont eu lieu en novembre 2016 et ont été remportées par Igor Dodon du Parti socialiste.
Igor Dodon, lorsqu’il fut ministre de l’économie, de 2006 à 2009, a produit des lois pragmatiques et libérales. L’une d’entre elle, notamment, visait à établir des zones franches dans lesquelles le taux d’imposition est ramené à 0 % si la plus-value reste en Moldavie. En 2010, il rompt avec le Parti communiste de Moldavie et crée le Parti socialiste de Moldavie, parvenant à en faire une marque et à siphonner l’électorat communiste traditionnel. Depuis, il multiplie deux signes de signaux, souvent convergents : ceux en direction de l’électorat conservateur et ceux manifestant son entente avec Poutine.
En 2002, des négociations ont été menées avec la Russie afin de fédéraliser la Moldavie : une chambre haute aurait été créée, qui aurait comporté 40 sièges issus de Transnistrie, 10 issus de la Gagaouzie et 50 issus du reste du pays. Le président moldave Vladimir Voronin était prêt à signer un texte mettant en œuvre cet accord, mais la société civile a manifesté, considérant que le problème transnistrien aurait alors été réglé mais que l’État serait devenu dysfonctionnel.
« La ligne du nouveau gouvernement est la suivante : ce n’est pas un sujet secondaire mais il faudra y travailler quand la Moldavie sera devenue attractive. Le nouveau gouvernement n’est pas anti-russe ».
Aujourd’hui, deux partis politiques moldaves, le bloc ACUM et le Parti des Socialistes, ont formé une coalition le 9 juin 2019, au bout de plusieurs mois de négociations sur la constitution d’une majorité parlementaire après les élections législatives du 24 février 2019.
« Cette alliance inattendue est soutenue à la fois par les Russes et les Européens : divisés sur l’Ukraine, mais plutôt unis sur la Moldavie », Florent Parmentier.
Enfin, il a été évoqué le sujet de la coopération décentralisée.
Les coopérations décentralisées entre collectivités territoriales sont très faibles, hormis quelques exemples emblématiques. Il est essentiel de développer cet aspect, non pas en se limitant à des échanges d’élus mais pour travailler sur des dossiers de fond. L’accord universitaire entre Chisinau et Grenoble constitue un exemple, avec la délivrance du seul MBA franco-moldave.
Le développement du e-gouvernement nécessitera un accompagnement de la population.
C’est au travers de telles rencontres que nous pouvons mieux comprendre les problématiques importantes pour la Moldavie et ainsi contribuer à concrétiser l’amitié entre nos deux pays.