Projet de loi asile et immigration : mieux accueillir pour mieux protéger et intégrer

J’ai été reçu, ce lundi 9 avril au matin, dans les locaux du Secours Catholique stéphanois. A cette occasion, j’ai pu échanger avec des hommes et des femmes contraints de fuir leur pays. J’ai pu également me rendre compte du rôle joué par le secteur associatif en matière d’accompagnement et d’accessibilité au droit.

Cette rencontre s’inscrivait dans le cadre du travail préparatoire à l’examen du projet de loi pour une immigration maitrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, que j’ai souhaité mener.

Elle faisait suite aux divers échanges, rencontres et visites de terrain que j’ai effectués depuis le début de l’année que ce soit avec la Ligue des Droits de l’Homme, le Secours Catholique, le foyer Renaître. En effet, il m’a semblé indispensable d’aller à la rencontre des acteurs de terrains et des hommes et des femmes qui ont dû quitter leur pays pour préparer au mieux les débats sur ce texte. Un texte qui poursuit trois objectifs : la réduction des délais d’instruction de la demande d’asile ; le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière ; l’amélioration de l’accueil des étrangers admis au séjour pour leurs compétences et leurs talents.

A ce jour, nous venons de terminer l’examen en commission de ce projet de loi.  836 amendements ont été examinés et 124 ont été adoptés.

Ce texte va  être examiné en séance à l’Assemblé nationale à partir de lundi 16 avril.

Il est donc important de mieux cerner les enjeux de cette réforme qui suscite de nombreuses inquiétudes.

Nous devons rationaliser notre droit et notre politique d’accueil

L’accueil de ceux qui fuient la guerre et les persécutions fait partie intégrante de l’identité française. Face au défi migratoire, nous devons agir avec humanité, dignité, célérité et efficacité. Le traitement des demandes sur notre territoire doit offrir de réelles chances de succès aux personnes nécessitant une protection. De la même manière, l’enjeu est de mieux accueillir et de mieux intégrer ceux qui ont le droit de rester sur le sol français. Inversement, il conviendra de faire preuve d’une plus grande fermeté à l’égard de ceux qui ne peuvent y rester.

En effet, depuis 2015 la France fait face à un afflux migratoire considérable lié à la multiplication de zones instables dans le monde. Entre 2013 et 2017 le nombre de demandes d’asile est passé de 63 000 à 100 000 par an au sein d’un système d’accueil plus que saturé. En outre, si le nombre de demandes a diminué de moitié dans le reste de l’Europe en 2017, celui-ci ne cesse d’augmenter en France ( +17% par rapport à 2016 ). Malgré les efforts engagés, les besoins et difficultés en termes de traitement des demandes d’asile et de prise en charge des demandeurs d’asile ne cessent de croître.

Le projet de loi participe des objectifs plus généraux de la politique d’asile et d’immigration du Gouvernement : la maîtrise des flux migratoires, qui seule permet de garantir un droit d’asile effectif, l’accueil des étrangers admis au séjour et leur intégration.

Notre gouvernement estime donc qu’une refonte de notre politique migratoire est indispensable. Nous accueillons mal ceux à qui nous devons la protection. Les demandeurs d’asile attendent en moyenne 14 mois (en cas de recours) avant de recevoir une réponse. Nous ne parvenons pas à reconduire à la frontière ceux qui n’ont pas vocation à rester sur notre territoire (en 2016 sur 91 000 étrangers en situation irrégulière interpellés en France, moins de 25 000 ont quitté effectivement le territoire).

Dès lors, Gérard  COLLOMB, Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur a présenté le 21 février 2018 en conseil des ministres le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif. Ce projet de loi propose  des réponses à ces difficultés et s’inscrit dans la continuité de ce qui a été entrepris depuis 9 mois déjà ( réduction du délai de traitement des demandes d’asile et augmentation des éloignements / adoption dans le budget 2018 du principe de construction de 7500 places d’hébergement en 2018-2019, plan « Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires » ).

Mieux adapter notre droit aux réalités opérationnelles et faire converger nos procédures avec les pratiques européennes 

1. Le projet de loi va permettre de simplifier et accélérer le traitement des demandes d’asile

La procédure applicable à l’examen d’une demande peut être « normale » ou « accélérée » suivant les cas énumérés à l’article L.723-2 du CESEDA. Dans les faits, le délai de traitement reste trop long malgré une légère baisse. Ainsi, le délai moyen global ( OFPRA+ CNDA ) en 2017 est de :

– pour les procédures normales : 13 mois et 19 jours

– pour les procédures accélérées : 307 jours

En cas de procédure accélérée notamment lorsque le demandeur, sans motif légitime, a présenté sa demande plus de 120 jours après son entrée en France, le projet de loi entend réduire le délai à 90 jours partout en France sauf en Guyane où il sera de 60 jours.

Le projet de loi doit aussi permettre une notification dématérialisée des convocations et décisions de l’OFPRA mais aussi la possibilité d’élargir les cas de clôtures de demandes.

Par ailleurs, les délais de la procédure juridictionnelle ( délai de recours d’un mois, puis délai octroyé en cas de demande d’aide juridictionnelle ) sont un facteur d’allongement de la durée globale d’examen des demandes. Dans un souci de maîtrise des délais d’instruction, ce délai sera réduit d’un mois à 15 jours ( à cet égard 9 États de l’UE ont un délai compris entre 8 et 15 jours dont l’Allemagne ). La CNDA verra croître ses possibilités de statuer en procédure accélérée sur les recours contre les décisions de retrait du statut du réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire fondées sur un risque de menace grave à l’ordre public.

Le recours à la vidéo-audience sera quant à lui facilité de même que sera aménagé le caractère systématiquement suspensif du recours devant la CNDA en prévoyant d’autres hypothèses de recours non suspensifs.

Enfin, dans le but de simplifier le traitement des demandes d’asile et d’éviter les mesures dilatoires consistant à faire des demandes successives présentées par des parents déboutés du droit d’asile au nom de leurs enfants sur la base des mêmes moyens, l’enregistrement d’une demande par un parent sera regardée comme présentée en son nom et en celui de ses enfants mineurs.

2. Le projet de loi va permettre de rationaliser notre politique d’accueil et sécuriser le droit au séjour des personnes les plus vulnérables

Il s’agit avant tout de rééquilibrer la balance au sein d’un ensemble juridique peu cohérent. En effet notre droit offre différents types de protection permettant l’octroi de titres à durée variable.

Par exemple, les réfugiés statutaires se voient délivrer dès leur première admission au séjour une carte de résident d’une durée de dix ans renouvelable de plein droit la où les bénéficiaires de la protection subsidiaire ( toute personne qui ne remplit pas les conditions d’octroi du statut de réfugié mais qui établit qu’elle est exposée dans son pays à un risque réel de subir une des atteintes grave à sa personne) et les apatrides ( personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ) ne reçoivent qu’une carte de courte durée. De plus, le droit applicable aux membres de la famille des personnes protégées diverge et apparaît plus restreint côté apatrides.

Le projet de loi entend donc créer deux nouvelles cartes de séjour pluriannuelles d’une durée de 4 ans au profit des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides, ainsi que de leurs familles. Elles se substitueront aux cartes de séjour « vie privée et familiale » d’un an qui leur sont aujourd’hui délivrées dont la brièveté constitue un frein à l’intégration ainsi qu’aux démarches en matière d’emplois et de logements.

Il s’agira aussi d’assurer un meilleur accès à l’hébergement et à une meilleure répartition des demandeurs d’asile sur le territoire. Ceux-ci pourront dès lors être orientés vers une région et tenus d’y résider.

3. Le projet de loi va permettre d’améliorer l’accueil des étrangers en situation régulière et favoriser l’intégration

Il s’agit de se conformer à nos obligations de transposition des actes de droit dérivé de l’union européenne. A ce titre, le projet de loi reprend les dispositions de la directive 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair.

Dès lors, seront créees deux nouvelles cartes de séjour « étudiant- programme de mobilité », l’une temporaire, l’autre pluriannuelle ainsi qu’un statut du jeune au pair. De facto, la mobilité des étudiants et des chercheurs au sein de l’UE sera facilitée.

Enfin, le passeport talent sera étendu à de nouvelles catégories de personnes notamment aux « salariés des entreprises innovantes » et à « toute personne susceptible de participer au rayonnement de la France »

4. Le projet de loi va permettre de lutter contre l’immigration irrégulière

Un des points majeurs du projet sur la question de la lutte contre l’immigration irrégulière concerne la rétention administrative. Celle-ci a pour but de retenir au sein d’un centre surveillé, pour une durée limitée et sous contrôle juridictionnel, les étrangers faisant l’objet d’une procédure d’éloignement et ne pouvant pas quitter immédiatement la France. Avant la loi du 7 mars 2016, la rétention administrative était la mesure systématiquement utilisée pour garder à disposition un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement le temps nécessaire à l’organisation de son départ. Depuis 2016, le placement en rétention ne peut intervenir qu’à défaut de l’assignation à résidence, si l’étranger ne présente pas de garanties de représentation effective propre à prévenir le risque de fuite. La durée de la rétention est donc limitée au temps strictement nécessaire au départ de l’intéressé. Après les 48 premières heures, la rétention peut être une première fois renouvelée pour une durée maximale de 28 jours par le juge de la liberté et de la détention (JLD), puis à nouveau pour une durée maximale de 15 jours. Elle est donc de 45 jours maximum.

Le projet de loi vise à prolonger la durée maximale de rétention administrative ainsi portée de 45 à 90 jours avec possibilité de prolonger de 15 jours, renouvelable 2 fois, en cas d’obstruction à la mesure d’éloignement ( à titre d’exemple, elle est de 180 jours en Allemagne ).

Le doublement de la durée doit donner plus de souplesse à l’administration et lui laisser le temps, dans certains cas, d’obtenir les laissez passer consulaires de la part des pays d’origine de certains demandeurs d’asile.

Les délais d’intervention des juges en rétention seront également adaptés. Aujourd’hui le JLD ne dispose pas d’un temps suffisant ( 24h ) pour se prononcer lorsqu’il est saisi du cas d’un étranger placé en rétention. C’est pourquoi le texte prévoit d’allonger le délai de jugement du JLD qui passe ainsi de 24h à 48h. En conséquence le délai de jugement du Tribunal administratif compétent pour juger de la décision d’éloignement, qui intervient postérieurement au JLD, est également allongé de 24h ( il passe alors de 72h à 96h ) pour disposer d’un temps suffisant.

La durée maximale de retenue pour vérification du droit de séjour prévue par l’article L.611-1 du CESEDA est elle aussi impactée puisqu’elle sera portée de 16 à 24h dans le but de disposer d’un temps supplémentaire à l’exécution des diligences nécessaires.

Les pouvoirs des autorités de police judiciaire seront renforcés puisqu’à l’heure actuelle ceux-ci sont liés par le contrôle d’un officier de police judiciaire dans l’accomplissement de leur mission. Il leur sera donc permis, lors de la retenue, de procéder à la fouille des bagages et des effets personnels de l’étranger en sa  présence et avec son accord, ou à défaut sur instruction du procureur de la République.

Ces mesures s’accompagnent d’un renforcement des sanctions applicables à ceux qui refusent de se soumettre à la prise de photographies ou d’empreintes.

Toujours sur le volet pénal, sera d’une part abrogé le délit de franchissement irrégulier des frontières intérieures à l’espace Schengen en application de la jurisprudence communautaire et sera d’autre part étendue à l’Outre mer le délit d’utilisation frauduleuse de documents de tiers aux fins d’entrer sur le territoire ( celui-ci ne s’appliquant qu’à la France métropolitaine ).

Enfin, pour prévenir les reconnaissances frauduleuses de paternité, la carte de séjour en qualité de parent d’enfant français sera délivrée sous réserve de la participation effective des deux parents à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.